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Épicure (n.prop.)
1.Samos ou Athènes 341 Athènes 270 av. J.-C. philosophe grec. Il l'École du jardin. Sa morale, l'épicurisme s'inspire du matérialisme atomisme de Démocrite.
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Ver también
Épicure (n.prop.)
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Épicure (n. pr.)
philosophe[Hyper.]
Le Littré (1880)
Nom d'un philosophe grec, né dans l'Attique l'an 342 avant J. C., qui niait que les dieux eussent aucune providence, rattachait la formation des choses à la rencontre des atomes, et faisait consister le bonheur dans la volupté, mais la volupté liée à la raison et à la modération. Princesse, puissiez-vous comprendre par ma voix, Ce léger crayon des lois Que la prudente nature Dictait en Grèce autrefois Par la bouche d'Épicure ; Cet esprit élevé qui, dans sa noble ardeur, S'envola par delà les murailles du monde, Affranchit les mortels d'une indigne terreur, Et le premier bannit de la machine ronde Les dieux, le mensonge et l'erreur, CHAULIEU, Ép. à la duchesse de Bouillon.
• Ô maison d'Aristippe, ô jardins d'Épicure, Vous qui me présentez dans vos enclos divers Ce qui souvent manque à mes vers, Le mérite de l'art soumis à la nature (VOLT. Ép. 76)
Troupeau d'Épicure, se dit, par dénigrement, des épicuriens qui entendent la doctrine d'Épicure comme signifiant les voluptés sensuelles, et des voluptueux qui vivent selon cette interprétation.
On dit dans le même sens pourceau d'Épicure.
Enfants d'Épicure, fils d'Épicure, gens de plaisir.
• À l'enfant d'Épicure Honneur et prompt retour (DÉSAUGIERS Chans. à M. de Piis.)
• Je disais aux fils d'Épicure : Réveillez par vos joyeux chants Parny.... (BÉRANG. Parny.)
ÉTYMOLOGIE
Terme grec provenant d'un verbe se traduisant par secourir.
Wikipedia
Épicure (Ἐπίκουρος)
Philosophe Grec
Antiquité
Portrait d'Épicure,
copie romaine d'un original hellénistique, British Museum
Naissance | Fin -342 ou début -341 (Samos) |
---|---|
Décès | -270 |
École/tradition | Atomisme, fondateur de l'épicurisme, précurseur du matérialisme |
Principaux intérêts | Épistémologie, physique, éthique, eudémonisme |
Idées remarquables | Atome, vide, prénotion (ou prolepse), ataraxie, clinamen ou déclinaison des atomes |
Influencé par | Leucippe, Démocrite |
A influencé | Cicéron, Lucrèce, Horace, Ovide, Sénèque, Marc Aurèle, Érasme, Montaigne, Gassendi, Rousseau, Voltaire, Hume, Bentham, Schelling, Mill, Marx, Nietzsche |
Épicure (en grec Ἐπίκουρος {Epicouros}) est un philosophe grec, né fin -342 ou début -341 et mort en -270. Il est le fondateur, en -306, de l'épicurisme, l'une des plus importantes écoles philosophiques de l'Antiquité. En physique, il soutient que tout ce qui est se compose d'atomes indivisibles. Les atomes se meuvent aléatoirement dans le vide et peuvent se combiner pour former des agrégats de matière. L'âme en particulier serait un de ces agrégats d'atomes, et non une entité spirituelle, notamment d'après son disciple Lucrèce. En éthique, le philosophe grec défend l'idée que le souverain bien est le plaisir, défini essentiellement comme « absence de douleur ». En logique ou épistémologie, Épicure considère que la sensation est à l'origine de toute connaissance et annonce ainsi l'empirisme.
Sommaire |
Épicure, né à Samos selon une tradition[1], ou selon l'opinion la plus courante rapportée par Diogène Laërce, à Athènes, dans le dème de Gargettios, en -341. Son père, Néoclès, enseignait la grammaire, et sa mère, Chérestrate était magicienne. Épicure semble avoir été élevé à Samos (peut-être même y est-il né, son père étant un colon athénien), puis il vint à Athènes pour y accomplir son service militaire vers l'âge de 18 ans, avant de partir rejoindre son père à Colophon, au nord de Samos, en -323. Il y resta de -323 à -321 et y reçut les leçons de Nausiphane. Il gagne ensuite Mytilène où il commence à enseigner. Sa philosophie suscite alors l'hostilité (mais il y rencontre son disciple et futur successeur Hermarque), et il part rapidement pour Lampsaque où il vivra de -310 à -306. Il y rencontre Colotès, Métrodore, Idoménée de Lampsaque qui le suivront à Athènes.
En -306, à 35 ans, il vint s'installer à Athènes qui venait d'être délivrée par Démétrios Poliorcète, et il y acheta un jardin pour 80 mines : l'école du Jardin devint le centre des études épicuriennes. Il y passa le reste de sa vie. C'est pendant cette dernière période qu'il écrit un très grand nombre de ses œuvres et de ses lettres ; il est l'un de ceux qui ont le plus écrit dans l'Antiquité (300 ouvrages semble-t-il). Il eut pour disciples : un certain Hérodote (homonyme de l'historien), Pythoclès, Hermarque, Métrodore, Polyénos, Léonteos de Lampsaque, Themista, Leontion, Colotès, et Apollonidès, avec lequel il aurait eu plusieurs rapports homosexuels, courants dans la Grèce antique.
Épicure mourut en 270 av. J.-C. La vie qu'il mena dans son jardin fut simple et frugale, il était végétalien (il mangeait tout de même à l'occasion du fromage). Selon Dioclès, cité par Diogène Laërce, « un verre de vin lui suffisait, et il buvait de préférence de l'eau. » Le Jardin est pourtant passé pour un lieu de débauche, mais de telles accusations semblent calomnieuses, vu l'habitude des philosophes de lancer des accusations douteuses contre leurs adversaires. L'image d'Épicure est devenue celle d'un impie et d'un débauché, pire, d'un pourceau.
La vocation de philosophe lui vint très tôt, à 14 ans selon le témoignage de Diogène Laërce, quand, à la lecture d'Hésiode, il demanda à son maître d'où venait le chaos primordial d'où toutes choses sortaient que décrit le poète dans la Théogonie. Les réponses de son maître ne le satisfaisant pas, il décida de philosopher seul et sans guide, en autodidacte (on lui reprochera plus tard de s'en être vanté). Il reçut pourtant les leçons de plusieurs maîtres d'écoles différentes :
Sa philosophie prône le contentement (de ses avoirs, de son état affectif, de son rang social) et la vie communautaire entre amis dans un bonheur stable. Elle s'oppose avec force au platonisme et de manière plus mesurée à la doctrine d'Aristote (des fragments nous font voir en Épicure un lecteur consciencieux d'Aristote) ; quant à l'héritage démocritéen, l'atomisme épicurien n'en est pas une simple copie : Épicure modifie certaines idées de Démocrite et ajoute le concept très important de clinamen (voir plus bas le chapitre sur la physique d'Épicure). |Épicure s'attribua injustement l'ouvrage de Démocrite à propos de l'atomisme[2].
Épicure voulut assurer l'immortalité de son nom, en léguant le Jardin sous la condition que sa philosophie y fût enseignée et qu'on célébrât chaque mois une fête en son honneur. Il faisait des résumés de ses œuvres et conseillait à ses disciples de les apprendre par cœur.
Mais cet orgueil de philosophe mis de côté, Épicure est décrit comme un ami fidèle et bienveillant, d'un naturel sympathique : « Sa vertu fut marquée en d'illustres caractères, par la reconnaissance et la piété qu'il eut envers ses parents et par la douceur avec laquelle il traita ses esclaves[3]. » C'est Sénèque, un Stoïcien, qui dit de sa pratique : « Pour moi, je pense et j'ose le dire contre l'opinion des nôtres, que la morale d'Épicure est saine, droite et même austère pour qui l'approfondit... Je dis qu'elle est décriée sans l'avoir mérité[4]. »
La doctrine d'Épicure eut un succès prodigieux, tant par le nombre de ses disciples, que par l'affection et les forts sentiments dont elle fut l'objet : « Le charme de cette doctrine égalait la douceur des sirènes[5]. » Elle gagna Rome et toute l'Italie, avec Lucrèce notamment, qui est considéré comme l'un des rares poètes (sinon le seul) à avoir réussi à mettre de la philosophie en vers.
La popularité de l'épicurisme contraste avec la diffusion plus faible des doctrines des autres philosophes de l'Antiquité. Le stoïcisme apparaît réservé à des individus capables d'une discipline peu commune, et le platonisme se diffuse surtout dans les milieux cultivés. On a parfois rapproché Épicure de Jésus, en soutenant que ces deux hommes faisaient figure de sauveurs aux yeux du peuple ; et, en effet, les consolations apportées par Épicure sont chantées par Lucrèce comme des dons divins, propres à régénérer l'homme tourmenté par les passions, les superstitions, la peur des dieux, etc. C'est pourquoi certains philosophes, tels que Nietzsche, n'hésitent pas à voir en cette pensée une sorte de christianisme païen[6], i.e. une pensée rédemptrice mais sans la notion de péché propre à cette dernière religion.
Malgré cette œuvre considérable, bien qu'Épicure eût élaboré l'une des doctrines cardinales de l'histoire de la civilisation européenne (une autre, la plus opposée, étant le stoïcisme), il ne nous reste que trois lettres de ce grand et puissant philosophe (Lettre à Hérodote, Lettre à Pythoclès et Lettre à Ménécée), et quelques maximes (40 Maximes Capitales et 81 Sentences Vaticanes) découvertes pour la plupart à la fin du XIXe siècle. Des fragments du De la nature (Peri phuseos) furent également découverts à Herculanum en 1752 (à une époque où la morale épicurienne, longtemps combattue, revenait en force).
Il est mort d’une rétention d'urine causée par la pierre (probablement des calculs rénaux), comme le dit Hermarque dans ses lettres, après une maladie qui a duré quatorze jours ; Hermippe raconte qu'alors il entra dans une baignoire de bronze tempérée d’eau chaude, demanda du vin pur et l'avala. Après avoir enjoint ses amis de se remémorer ses doctrines, ainsi mourut-il.
Il laissa un testament[7] et une lettre à Idoménée de Lampsaque.
La doctrine d'Épicure peut être résumée par ce que les épicuriens ont appelé le tetrapharmakon (quadruple-remède, ou "quadruple-poison" : car tout est question de posologie), que fit graver Diogène d'Œnoanda sur le mur d'un portique, formulé ainsi :
Épicure l'avait lui-même formulé ainsi :
« Et maintenant y a-t-il quelqu’un que tu mettes au-dessus du sage ? Il s’est fait sur les dieux des opinions pieuses ; il est constamment sans crainte en face de la mort ; il a su comprendre quel est le but de la nature ; il s’est rendu compte que ce souverain bien est facile à atteindre et à réaliser dans son intégrité, qu’en revanche le mal le plus extrême est étroitement limité quant à la durée ou quant à l’intensité ; il se moque du destin, dont certains font le maître absolu des choses[8]. »
On remarque que deux points ont été éludés, la connaissance de la nature (qui concerne donc la partie physique de la doctrine d'Épicure) et la sérénité face au destin.
Le nom de pharmacie indique la finalité de la pensée épicurienne : il faut guérir les hommes des maux qui les accablent. Si la présentation de l'épicurisme dans cet article suit une division classique de la philosophie, sa finalité ultime devra être toujours gardée à l'esprit. On peut noter que le mot grec pharmakos signifie aussi « poison ». Cette ambiguïté du terme pourrait rejoindre la double interprétation nietzschéenne de l'épicurisme, à la fois comme une saine doctrine qui combat les superstitions et comme une ascèse hostile à la vie qui préfigure la récupération chrétienne de la souffrance[9].
Épicure élabore une théorie de la connaissance qui se fonde sur les sens, sur la véracité des sensations qui garantissent seules que nous connaissons la réalité. Il invente également la théorie des prénotions : nous formons en nous des concepts à partir d'expériences répétées. Ces prénotions donnent un point de départ à la réflexion humaine sans pourtant recourir à l'hypothèse platonicienne d'une réminiscence des Idées intelligibles.
La question de la fiabilité des sensations est particulièrement débattue par les philosophes hellénistiques. Soit les sensations sont toutes fausses (thèse sceptique), soit certaines sont vraies et certaines sont fausses, soit elles sont toutes vraies. Pour Épicure, la thèse sceptique est contradictoire : il faudrait pour la valider un critère supérieur aux sens ; or la raison est dépendante des sens car nos concepts viennent de l'expérience sensible. La seconde thèse est également impossible, car il faut un critère pour distinguer une sensation fausse d'une sensation vraie. Mais, pour Épicure, il n'y a pas de critère en dehors des sens, et une sensation ne peut réfuter une autre sensation, car les sens sont différents entre eux. Les sens ne peuvent donc se contredire.
Il ne reste donc que la thèse selon laquelle toutes les sensations sont vraies[10]. Ce point sera développé dans la canonique : la canonique est la première partie de la philosophie d'Épicure, et elle porte sur les critères (canon) de la vérité. Elle consiste en quatre sortes d'évidence.
L'erreur est expliquée par le jugement de la raison : les illusions des sens ne sont pas dans nos représentations, mais dans ce que nous y ajoutons par nos jugements, nos raisonnements, nos souvenirs, etc. ; mais, en tout cas, il est impossible de prouver la fausseté de la sensation sans commettre une pétition de principe ou une erreur de catégorie. Nos jugements s'appliquent à deux sortes d'objet, ceux qui peuvent être confirmés par l'expérience (la vérification du jugement est possible), et ceux qui ne relèvent pas vraiment de l'expérience, comme le vide par exemple, dont on admet l'existence par un raisonnement (la validité est en ce sens que le jugement n'est pas faux, et peut donc être tenu pour vrai).
Épicure ne décrit pas le fonctionnement de l'acquisition de prénotions ; on peut dire néanmoins que c'est une faculté de l'esprit de renouveler certains mécanismes de la perception en opérant des choix parmi les images sensibles (les simulacres).
La canonique permet d'établir les critères de validité d'une théorie scientifique. Une opinion est vérifiée ou falsifiée, elle porte sur des faits évidents ou non évidents. Ces distinctions permettent de formuler des critères. Pour Épicure, ces critères sont :
Il peut donc y avoir plusieurs théories valides pour expliquer un même phénomène : plusieurs hypothèses qui ne contredisent pas les phénomènes doivent être tenues pour vraies, car on ne peut choisir arbitrairement une cause plutôt qu'une autre.
Un nom évoque une prénotion[12], il y a donc pour Épicure un rapport entre théorie de la connaissance et théorie du langage. Pour Épicure il faut se référer au sens premier d'un mot, lié à la prénotion dont il tient son sens. Cette théorie invite à décrire l'origine du langage pour mieux comprendre la connaissance humaine :
Le langage n'est donc pas une invention humaine : c'est l'environnement de l'homme et sa constitution physique variables qui sont la source des sentiments, des impressions et des sons qui en résultent. Le premier sens d'un mot est donc un sens naturel, mais ce sens est ensuite recouvert par les usages que les hommes en font. Revenir au sens premier, c'est revenir aux préconceptions mêmes, et donc puiser à la source de la connaissance humaine (par opposition à la dialectique). Épicure rejette ainsi à la fois le conventionnalisme et la théorie platonicienne des noms naturels.
La physique (principes, méthode, constitution du monde) d'Épicure est exposée dans la Lettre à Hérodote. La Lettre à Pythoclès, quant à elle, est plus axée sur l'études des météores ou phénomènes naturels (cyclone, foudre...).
Épicure était un philosophe, mais comme presque tous les philosophes de l'Antiquité, il était aussi un astronome et un physicien.
Selon lui, une juste compréhension de l'univers permet de mener une vie heureuse :
« Si la crainte des météores et la peur que la mort ne soit quelque chose pour nous, ainsi que l'ignorance des limites des douleurs et des désirs, ne venaient gêner notre vie, nous n'aurions nullement besoin de physique[14]. »
Épicure nous invite donc à connaître la nature pour la démystifier, pour éviter de voir des causes magiques ou merveilleuses là où il n'y a qu'un mécanisme aveugle et amoral. La souffrance morale viendrait ainsi du fait que l'on attribue à la nature une volonté ou une animation libre : en jugeant son action comme volontaire, on pense que la nature est « malveillante » ou « bienveillante » à notre égard. C'est une interprétation anthropomorphique de la nature (attribution d'émotions et de caractères moraux à la nature) qu'Épicure combat. Si la nature est aveugle et inanimée, il est absurde de louer ou de blâmer ses actions.
Par ailleurs, Épicure développe la théorie des hypothèses multiples sur la cause d'un phénomène naturel. Les limites de notre connaissance font que pour tel phénomène donné, nous ne pouvons pas trancher entre telle ou telle hypothèse explicative.
Pourtant, malgré ce qui pourrait apparaître à première vue comme des limites, sa physique est suffisamment cohérente pour être examinée indépendamment du reste de sa pensée, sans doute parce qu'elle n'implique aucun anthropocentrisme et qu'elle se passe facilement de l'existence des dieux (mais Épicure n'était pas à proprement parler athée[15]).
De la partie physique de la pensée d'Épicure, Cicéron dit :
« Qu'y a-t-il dans la physique d'Épicure qui ne provienne de Démocrite ? Car, même s'il a modifié quelques points, ainsi que je l'ai dit un peu plus haut concernant la déclinaison des atomes, pour le reste il dit la même chose[16]. »
Ce jugement a traversé les siècles. Pourtant, tel quel, il est manifestement faux. La physique épicurienne est en effet plus proche de la pensée ionienne qui est plutôt positiviste, que du rationalisme qui triomphe alors, avec le stoïcisme par exemple. La pluralité des mondes, l'infini, la négation des croyances populaires, de la providence et du destin, etc. ne sont pas particulièrement compatibles avec la théologie de cette doctrine. La physique épicurienne est l'exact opposé de la physique stoïcienne. De plus, Démocrite est rationaliste quand il formule la théorie de l'atome, et il n'accorde aucune confiance aux données sensibles. Épicure, au contraire, s'appuie sur l'expérience et le témoignage véridique des sens. Les deux théories s'expriment donc de la même manière, mais pas pour les mêmes raisons.
La physique d'Épicure est donc en gros une reprise de l'atomisme de Démocrite, qu'Épicure a sans doute appris par Nausiphane, mais il la modifie en introduisant l'idée d'un clinamen, afin de conserver la liberté de la volonté humaine qui est niée par la doctrine atomiste.
La philosophie naturelle d'Épicure est fondée sur un petit nombre d'axiomes, où l'on reconnaît facilement le principe de conservation de la cosmologie ionienne :
Le tout est constitué d'une infinité d'atomes dans l'infinité du vide. Au sein de cette infinité, un monde est une organisation éphémère, qui n'est ni unique, ni fermée sur elle-même. Il existe plusieurs mondes très différents les uns des autres, contenant des êtres vivants très variés. Ces thèses ioniennes ne sont pas spécifiquement atomistes ; on peut néanmoins déduire l'existence de l'atome du principe de conservation.
En effet, la réalité dans sa totalité est pour Épicure composée de deux éléments : les atomes et le vide. Or, les atomes sont les parties insécables de la matière. L'hypothèse de l'atome découle alors nécessairement de l'axiome 3. Si tout peut retourner au néant, l'univers disparaît. L'atome est donc la réalité permanente de l'univers.
L'atome est :
Il reste à décrire cette réalité ultime et première qu'est l'atome.
L'atome a les qualités suivantes, qui expliquent la formation des choses sensibles[17] :
Le mode de composition est en revanche peu invoqué.
Ces qualités sont dites essentielles ; les atomes ne sont pas des unités identiques, mais ont des espèces différentes : pour former un homme ou un dieu, il faut des atomes différents. Les atomes sont donc les semences des choses (spermata), et non pas uniquement leurs composants.
En revanche, la couleur, l'odeur, etc, sont des attributs accidentels qui n'existent qu'au niveau phénoménal relativement à un sujet. Néanmoins, Épicure estime que cette réalité subjective a autant de réalité et est aussi vraie que la réalité fondamentale des atomes.
Épicure admet le vide ; les atomes se déplacent dans le vide[18] </ref> ; ce déplacement est inévitable, puisque le vide est défini comme ce qui n'offre aucune résistance[19]. La nature même de l'atome est en fait ce mouvement immanent et perpétuel, dirigé pour tous les atomes dans la même direction, avec la même vitesse, selon la pesanteur, de haut en bas. Il ne peut y avoir de différences de vitesse, car la différence de résistance des milieux est nulle : en effet, le vide n'offre pas de résistance[20]. À cette pesanteur universelle, s'ajoute le poids propre de chaque atome.
Les atomes peuvent également vibrer sur place et s'agréger. Ils forment alors des corps de plus en plus complexes. Mais il faut alors expliquer comment les atomes peuvent dévier de leur course, puisque celle-ci étant la même pour tous les atomes, ces derniers ne peuvent jamais se heurter. C'est là qu'Épicure introduit le fameux clinamen (paregklisis), qui est une déviation spontanée, spatialement et temporellement indéterminée, et qui permet aux atomes de s'entrechoquer.
Cette hypothèse a laissé perplexe bien des philosophes, y compris des épicuriens. Il faut d'abord noter que la physique épicurienne n'est pas déterministe ; qu'ensuite le clinamen est, selon Lucrèce[21], conçu sur le modèle de la volonté libre opposé à l'impulsion donnée de l'extérieur.
À noter que la thèse matérialiste de l'atome en tant qu' "insécable" pose le problème du divin ; car les corps complexes que forment les atomes ne sont pas intemporels : ils finissent tôt ou tard par se décomposer et disparaître, c'est-à-dire que les atomes qui composent ces corps se séparent, mais sans pour autant disparaître eux-même, car les atomes sont inusables, intemporels : "immortels". Mais les dieux aussi sont immortels, comment intégrer le divin dans cette équation ? Sans réfuter son existence ? Epicure élude le problème en affirmant que les dieux étant heureux et possédant tout, ils ne se tournerons jamais vers nous, et que nous n'avons donc rien à attendre d'eux. Ce ne sera que Spinoza qui apportera une réponse à ce problème, en proposant un Dieu qui ne soit autre que la Nature elle-même, dieu serait-il atome ?
Ce point étant admis, les atomes peuvent alors s'assembler :
« Les nombreux éléments, depuis un temps infini, sous l'impulsion des chocs qu'ils reçoivent et de leur propre poids, s'assemblent de mille manières différentes et essayent toutes les combinaisons qu'ils peuvent former entre eux, si bien que par l'épreuve qu'ils font de tous les genres d'union et de mouvement, ils en arrivent à se grouper soudainement en des ensembles qui forment l'origine de ces grandes masses, la terre, la mer, le ciel, et les êtres vivants[22]. »
Il y a donc une infinité de mondes existants, correspondant à l'infinité des combinaisons atomistiques : Épicure soutient la thèse de la pluralité des mondes, contrairement à ceux qui pensent qu'il n'y a qu'un seul monde actuel (peu importe qu'ils admettent des mondes possibles ou non, comme Leibniz)[23] :
« Ce n’est pas seulement le nombre des atomes, c’est celui des mondes qui est infini dans l’univers. Il y a un nombre infini de mondes semblables au nôtre et un nombre infini de mondes différents. En effet puisque les atomes sont en nombre infini, comme nous l’avons dit tout à l’heure, il y en a partout, leur mouvement les portant même jusque dans les lieux les plus éloignés. Et d’autre part, toujours en vertu de cette infinité en nombre, la quantité d’atomes propres à servir d’éléments, ou, autrement dit, de causes, à un monde, ne peut être épuisée par la constitution d’un monde unique, ni par celle d’un nombre fini de mondes, qu’il s’agisse d’ailleurs de tous les mondes semblables au nôtre ou de tous les mondes différents. Il n’y a donc rien qui empêche l’existence d’une infinité de mondes[24]. »
L'étude de l'âme fait partie de la physique[25]. L'âme est un corps fait d'atomes, et qui possède des qualités qui sont des accidents des corps composés. C'est un souffle chaud et subtil dans lequel se trouvent la pensée et les affections. Sa liaison avec le corps permet la sensation ; une fois cet agrégat détruit, l'âme n'éprouve plus rien et se dissipe.
Mais là encore la théorie d'Épicure rencontre des difficultés ; les qualités vitales sont difficilement attribuables à un souffle chaud. L'âme sera alors un assemblage d'atomes spécifiques : atome de souffle, atome d'air, atome de chaud, et un quatrième atome sans nom, qui expliquerait la mobilité de la pensée. L'âme, puisqu'elle est un corps, est mortelle. Cette conception de l'âme, comme le reste de la physique, est au service du bonheur : il s'agit de faire disparaître les mythes qui viennent troubler notre pensée à propos de notre destination après la mort. À la vie éternelle, est opposée la mort immortelle, le temps infini pendant lequel nous ne sommes pas.
Dans le monde romain, Lucrèce poursuivit les idées d'Épicure en les axant dans un matérialisme à la mode antique.
L'éthique d'Épicure est exposée principalement dans la Lettre à Ménécée et les Maximes capitales. La morale épicurienne est une morale qui fait du plaisir le bien[26] et l'origine de la vertu[27], et de la douleur le mal (la privation de bien). Elle nous enjoint de rechercher le Souverain bien, et d'atteindre l'ataraxie. Kant critiquera la morale épicurienne (et stoïcienne) au motif que la vertu peut aller contre le bonheur personnel[28].
L'atomisme de Démocrite implique la négation du libre-arbitre. Et s'il est nécessaire que nous agissions comme nous le faisons, nous ne sommes pas responsables de nos actions. C'est pourquoi nous avons vu qu'Épicure avait introduit le clinamen. Il pense également que nous pouvons contrôler les déterminations physiques.
Le déterminisme, expliquant tout par des mouvements atomiques, nie le rôle explicatif d'une causalité psychique de la croyance ou de la volition. Or, bien qu'Épicure soit atomiste, il ne tient pas le déterminisme comme moralement inacceptable. Il faut donc que les propriétés phénoménales et les impressions sensibles aient une réalité causale véritable, de même que le moi et la volonté.
Cette doctrine est souvent interprétée à tort comme une philosophie de « bon vivant » cherchant le plaisir avec excès. En réalité, il s'agit d'une philosophie d'équilibre, fondée sur l'idée que toute action entraîne à la fois des effets plaisants (positifs) et des effets amenant la souffrance (négatifs). Il s'agit donc pour l'épicurien d'agir sobrement en recherchant les actions amenant l'absence de douleur, d'où doit découler le plaisir négatif de cet état de repos (ataraxie), dont la pleine conscience procure le plaisir suprême ; la clef du bonheur est de connaître ses propres limites ; c'est pourquoi l'excès doit être évité car il apporte la souffrance. Sans être une philosophie morale hédoniste, cette pensée ne recommande pas l'ascétisme s'il a des conséquences nuisibles.
Épicure défend un mélange de joie tempérée, de tranquillité et d'autosuffisance[29]. Le plaisir est le bien, et les vertus servent d'instruments. La vie selon le plaisir est cependant une vie de prudence[30], de vertu et de justice.
Épicure classe ainsi les désirs[31] :
Désirs naturels | Désirs vains | ||||
---|---|---|---|---|---|
Nécessaires | Simplement naturels | Artificiels | Irréalisables | ||
Pour le bonheur (ataraxie) | Pour la tranquillité du corps (aponie) | Pour la vie (nourriture, sommeil) | Variation des plaisirs, recherche de l'agréable | Ex : richesse, gloire | Ex : désir d'immortalité |
Cette classification n'est pas séparable d'un art de vivre, où les désirs sont l'objet d'un calcul en vue d'atteindre le bonheur. Pour le comprendre, il faut se rappeler l'atomisme : plaisir et douleur, dans cette conception, sont des accidents, ils n'existent pas au niveau des atomes, mais seulement au niveau de la conscience. À partir de là, il est naturel de juger bon le plaisir et mauvaise la douleur, puisque tous les êtres cherchent le plaisir. Ce sont nos sentiments qui nous indiquent que le plaisir est désirable. C'est une conscience naturelle, et notre constitution fait que nous cherchons le bonheur nécessairement.
Mais, pour le calcul des plaisirs, tout plaisir n'est pas digne d'être choisi : le plus grand des plaisirs est la suppression de toute douleur. En conséquence, on doit éviter certains plaisirs, et même accepter certaines douleurs.
Épicure fait également la distinction entre les plaisirs mobiles et les plaisirs statiques. Le plaisir statique est un état corporel et psychologique où nous sommes libérés de toute douleur, le bonheur est à son comble. Le plaisir mobile, en revanche, ne dure que le temps de son activité. Une vie qui suit ces plaisirs, comme les cyrénaïques, consiste à remplir une jarre percée. Les plaisirs mobiles sont donc en réalité subordonnés aux plaisirs statiques.
En fin de compte, le principe le plus important de la doctrine d'Épicure est de vivre selon la prudence quand on cherche le plaisir. La libération des troubles (ataraxie) est la marque suprême du bonheur : elle renvoie au quadruple remède ; vivre sans peur, avec les plaisirs de l'amitié et de nos souvenirs, en supprimant les fausses croyances sources d'angoisse et les douleurs évitables.
Nous avons eu l'occasion de voir comment dans la théorie de la connaissance, Épicure envisageait l'origine du langage. Cette origine est à la fois naturelle et conventionnelle. Elle suppose des institutions humaines, qui sont nées progressivement de l'histoire de l'humanité : « Ce sont les choses elles-mêmes qui ont la plupart du temps instruit et contraint la nature humaine, et que la raison n'a fait que préciser ensuite. »
De la même façon, la justice est une institution humaine : « Entre les animaux qui n'ont pu faire de conventions pour ne pas se nuire réciproquement, il n'y a ni justice ni injustice ; et il en est de même des nations qui n'ont ni pu ni voulu faire de conventions pour le même objet[32]. »
Épicure pose la question de la sincérité de l'amitié. Qu'est-ce qu'un véritable ami ? Comment définir l'amitié vraie ? Pour Épicure, le véritable ami est avant tout celui qui prévient les besoins de l'autre, lui évitant ainsi les troubles de l'âme et lui permettant d'accéder à l'ataraxie. L'amitié est finalement un des plaisirs du sage, de très loin supérieur à la passion amoureuse source de malheurs.
Ainsi, d'après Épicure :
« Parmi les choses dont la sagesse se munit en vue de la félicité de la vie tout entière, de beaucoup la plus importante est la possession de l’amitié[33]. »
Et d'après Diogène Laërce :
« il [le sage] sera insensible aux aiguillons de l'amour [...]. Les plaisirs de cette passion ne furent jamais utiles ; au contraire, on est trop heureux lorsqu'ils n'entraînent point après eux des suites qu'on aurait sujet de déplorer[34]. »
L'amour entre deux personnes n'existe que dans la proximité de la chair ; sans cette proximité, le sentiment amoureux n'a pas de consistance. Épicure est ainsi fidèle à sa physique : le fondement de toute réalité est la sensation corporelle. L'amour n'est donc pas un phénomène incorporel, absolu ou idéal, comme le croyait Platon[35]. Cette intuition sera développée par Lucrèce, qui écrira sur l'amour et ses illusions[36]. L'amour est, de même, condamné par Épicure comme source de désordres inutiles, qui entravent la tranquillité de l'âme et de la cité.
« Les dieux ne sont pas à craindre. » En effet, pour Épicure, les dieux sont des êtres qui existent dans un état de béatitude permanent. Leur nature même fait qu'ils n'interviendront jamais dans la vie des hommes. De ce fait, Épicure combat toute la tradition antique qui veut que les dieux soient jaloux ou rancuniers. Par conséquent, puisque les dieux sont tournés vers leur béatitude et leur bonheur, nous ne devons pas les craindre comme pouvant abattre leur divine colère ou punition sur nous, nous devons juste les prendre pour modèle de bonheur.
Les dieux n'ont rien de commun avec nous, et l'attribution de nature anthropomorphique d'émotions ou de passions aux dieux est absurde. Épicure tend à démythifier les dieux, pour en faire de simples entités immuables et indifférentes[37].
La critique de la religion et de la superstition entamée par Épicure trouve un écho manifeste dans l'œuvre de Lucrèce (De rerum natura), et sera saluée par Nietzsche (L'Antéchrist, § 58).
Ne pas craindre la mort est une marque de sagesse. La crainte, on l'a vu, est surtout la conséquence de la superstition. La psychologie d'Épicure doit permettre de supprimer toutes les superstitions qui se rapportent à l'âme : la mort est une extinction complète, elle n'est rien pour nous. On ne doit donc pas laisser la peur ruiner notre vie. Le raisonnement principal est le suivant :
« Le plus effrayant des maux, la mort ne nous est rien, disais-je : quand nous sommes, la mort n’est pas là, et quand la mort est là, c’est nous qui ne sommes pas[38] ! »
Quelques arguments annexes contre la crainte de la mort :
Le désir de vivre n'est pas rationnel ; si notre vie est parfaite, notre accomplissement dans la vie de tous les jours ne sera rien de plus si nous sommes immortels. C'est donc la qualité de la vie qui prime, la qualité du bonheur, et non la quantité.
En conclusion de cette pensée : la philosophie est une activité qui produit la vie heureuse.
Épicure écrit ainsi à Ménécée :
« Que personne, parce qu'il est jeune, ne tarde à philosopher, ni, parce qu'il est vieux, ne se lasse de philosopher ; car personne n'entreprend ni trop tôt ni trop tard de garantir la santé de l'âme. Et celui qui dit que le temps de philosopher n'est pas encore venu, ou que ce temps est passé, est pareil à celui qui dit, en parlant du bonheur, que le temps n'est pas venu ou qu'il n'est plus là[39]. »
ouvrages conservés et fragments
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